Cette miniature du style de Guler est une évocation gracieuse et sensible des loisirs d’une reine fumant le narghilé et écoutant rêveusement deux musiciennes. Empreinte d’une très grande poésie, elle témoigne du goût des artistes du Haut-Penjâb pour les scènes intimistes, et illustre également les qualités dominantes de ce style qui dépeint la femme telle une créature exquise et délicate, définissant ainsi un idéal de beauté féminine. Cette école de Guler, mais également celle de Kângrâ s’attachent aux thèmes amoureux, profanes ou krishnaïtes.

Les derniers siècles de l’art indien sont caractérisés par un développement important de la peinture d’album, et les écoles sont fortement diversifiées. En effet, dès les XVIe au XVIIe siècles, toute l’Inde du Nord sera dominée par les « Grands Moghols ». Ces empereurs fastueux, pratiquant l’islam sunnite, ont développé un art raffiné. Parallèlement, quelques autres courants, plus authentiquement hindous se développent, illustrant les grands textes classiques de la littérature indienne, ou réalisant de très beaux portraits des souverains et de leurs proches. Au Penjâb, la peinture pâhâri « des collines », prit un très grand essor dès le milieu du XVIIIesiècle.

Cette miniature fait partie de la production des écoles picturales râjpoutes déjà fortement teintées de réminiscences mogholes et qui s’intensifièrent à la suite du sac de Delhî en 1739 par le Persan Nâdir Shâh. En effet, beaucoup d’artistes de tradition moghole quittèrent alors la capitale pour venir s’installer dans les principautés du Râjasthân ainsi que dans les collines du Haut-Penjâb. Leur arrivée modifia dès lors les conventions esthétiques d’abstraction et d’idéalisation de la peinture râjpoute, et l’enrichit d’un répertoire thématique renouvelé. C’est précisément ce à quoi s’est employé le peintre Mânak, réfugié au Guler en 1740 et auquel on attribue cette oeuvre.

D’ après Amina Okada.