Découvertes en 1873 sur la colline du Phnom Bok, alors que Louis Delaporte tentait de réunir les éléments d’une collection qu’il destinait au musée du Louvre, ces œuvres furent en partie préservées des outrages du temps par une période d’enfouissement qui fut probablement longue. Aussi ont-elles conservé un aspect métallique, très sensible dans les carnations, que le fin polissage du grès conférait aux sculptures de cette époque.

Têtes de Shiva, Vishnu et Brahma, Cambodge, Siem Reap, temple du Phnom Bok, style du Bakheng, fin du 9e siècle – début du 10e siècle, grès, mission Louis Delaporte, 1973, MG 18100 ; MG 18101 ; MG 18102

Ce n’est pas sans émotion que l’explorateur relate les circonstances de cette heureuse rencontre dans le récit de son expédition :

« Dans ces ruines nous attendait une découverte des plus précieuses. Nous venions d’entrer dans un édicule obscur, d’où la lueur de nos torches avait fait envoler des centaines de chauves-souris […]. Des débris de cierges ayant attiré notre attention, nous déblayâmes le sol, et bientôt nous vîmes apparaître un cylindre de grès d’un grain très fin, couvert de sculptures en forme de cheveux bouclés, puis une calotte ornée de tresses, puis une figure, et enfin le reste d’une tête […]. En continuant de fouiller, nous mîmes successivement à découvert une seconde tête fort belle, à quatre faces, et une troisième coiffée d’un casque […] ; nous ne pouvions nous y méprendre […]. Ces trois têtes […] appartenaient donc aux grandes divinités brahmaniques, et chacune d’elle avait dû occuper un des trois sanctuaires ».

Delaporte, 1880, p. 126

Très vite, ces œuvres exceptionnelles figurent en bonne place à Compiègne puis au Musée indochinois du Trocadéro, dans les galeries mises en scène par Louis Delaporte, avant de rejoindre les collections du musée Guimet, en 1927.

L’intuition du découvreur était juste. Ces trois divinités, images de la Trimurti – les trois « formes » du divin dans le brahmanisme que sont Brahma, Shiva et Vishnu –, étaient jadis placées dans les trois tours-sanctuaires de grès, réunies par un soubassement commun, édifiées dans l’enceinte du temple construit au sommet du Phnom Bok. Le monument participait des fondations pieuses, érigées par le roi Yashovarman Ier autour du Phnom Bakheng et de la nouvelle capitale, Yashodarapura, ainsi que sur les quelques éminences de plaine d’Angkor. Joyaux de la collection du musée Guimet, ces sculptures d’une perfection formelle un peu glacée peuvent, à juste titre, être considérées comme les plus belles images du début du 10e siècle conservées jusqu’à nos jours.

Source : Notice rédigée par Pierre Baptiste pour le catalogue de l’exposition Angkor la naissance d’un mythe, Louis Delaporte et le Cambodge, Editions MNAAG / Gallimard, 2013