Ce kesa a été réalisé dans un somptueux tissu japonais de la fin du 18e siècle, du type de ceux qui étaient employés pour la confection des robes de théâtre no. D’une finesse exceptionnelle, celui-ci est le fruit d’un tissage complexe dans lequel se superposent différents registres de décor, réalisés chacun au moyen d’une technique spécifique.

Kesa à sept jo confectionné dans le tissu d’une robe de théâtre no, Japon, époque d’Edo, fin du 18e siècle – début du 19e siècle, soie et lamelles de papier doré (kinran) et argenté (ginran) ; ikaté, broché et lancé ; doublure en taffetas, H. 116 ; L. 206 cm (kesa), ancienne collection Myrna et Samuel Myers, achat (2018), MA 12929

Le fond forme des carreaux orange et vert aux contours indistincts. Il est obtenu grâce à la technique de l’ikat, dans laquelle les fils de chaîne sont teints sur toute leur longueur alternativement de l’une et l’autre couleur, avant d’être placés sur le métier à tisser. Le léger décalage qui apparaît ainsi d’un fil à l’autre crée un effet fondu subtil qui était particulièrement recherché. Ce fond orange et vert est entièrement tapissé par un réseau géométrique réalisé en lamelles de papier doré lancées (kinran). Celui-ci forme un treillis évocateur des cloisons tissées en lattes de cyprès du Japon (hinoki). Ce thème, qui apparaît fréquemment dans la littérature et les arts graphiques japonais, fait allusion à l’intimité du jardin et convoque le parfum du bois odoriférant. Le tout est rehaussé par un semis irrégulier de rameaux de roses de Chine (une variété d’hibiscus) aux fleurs écloses et en boutons. Ce dernier motif, obtenu par de longs flottés de trames de soie multicolore brochées, produit un fort relief dont l’effet rappelle la broderie. Connue sous le nom de karaori (« tissage [dans le style] de la Chine »), cette technique s’est développée au Japon à partir du 16e siècle, en imitation des luxueux tissus façonnés chinois jusqu’alors importés.

Dans le théâtre no, les costumes jouent un rôle primordial puisqu’ils se substituent entièrement à toute forme de décor. Ils se doivent ainsi de renseigner le spectateur, non seulement sur les personnages qui les portent – son identité, son sexe, sa position sociale, sa personnalité, son état d’esprit, ou encore le destin auquel il est promis – mais aussi sur le contexte de la scène – saison, tonalité dramatique, etc. Ce tissu de type karaori devait convenir à un rôle féminin, tandis que le choix de l’hibiscus est une évocation de l’été.

Dans plusieurs sectes relevant du bouddhisme zen, les kesa à sept jo (bandes) étaient portés assortis d’une écharpe appelée ohi. Celle-ci était placée sur l’épaule droite et maintenue par des liens, tandis que le kesa était drapé par-dessus l’épaule gauche. Le ohi était ainsi visible sur le devant du vêtement tandis qu’il était dissimulé sous le kesa dans le dos. Outre l’exceptionnelle qualité du tissage, cette pièce présente l’intérêt d’avoir été conservée avec le ohi destiné à l’accompagner.

Source : Notice rédigée par Hélène Gascuel pour le catalogue de l’exposition Bouddha, la légende dorée, éditions MNAAG / Liénart – 2019