Ce plateau était utilisé pour la cérémonie de l’encens, dite « kodo ». Cet art japonais d’apprécier les parfums est un des trois arts traditionnels avec l’ikebana et la cérémonie du thé. Lors de cette cérémonie, les participants « écoutent » des fragrances exhalées par des bois parfumés brûlés selon les règles codifiées.
L’encens fut introduit au Japon au 8e siècle par Ganjin, un moine bouddhiste chinois renommé qui fit découvrir aux Japonais l’encens médicinal et la pratique du neriko : un savant mélange de boulettes faites de poudre roulée à base de bois d’agar, de santal et autres essences odoriférantes. Ce fut tout d’abord cet « art » nouveau qui séduisit les nobles de la cour à l’époque de Heian (794-1181) et qu’ils transformèrent en une pratique raffinée, nommée soradakimono. Seuls les hommes de la noblesse avaient droit à ce divertissement consistant à faire des concoctions originales de senteurs différentes qu’ils faisaient brûler pour parfumer une pièce ou en imprégner leurs vêtements. Les parfums changeaient au gré des saisons et de l’humeur de ces « artisans parfumeurs ». Puis ces nobles japonais inventèrent un jeu avec ces billes d’encens appelé takimono-awase, et organisèrent même des compétitions : il s’agissait de créer le mélange le plus subtil et de deviner quelles essences avaient été utilisées dans les créations des autres participants. Ce divertissement de nobles détourna l’encens de sa fonction d’offrande religieuse et établit les bases de la voie de l’encens.
À la fin de l’époque de Kamakura (1185-1333), le neriko (bille parfumée roulée) perdit de son attrait et on se consacra à la seule consumation de bois odoriférants. Le terme « écouter l’encens » fut alors inventé et il est toujours employé. Plus tard, à l’époque de Muromachi (1336-1573), l’art de l’encens se développa et se répandit dans les classes élevées et moyennes de la société japonaise. Cependant, le kodo, art très codifié, était réservé à la famille impériale, à l’aristocratie ou encore aux samouraïs de haut rang. Ces derniers parfumaient leurs casques et armures avec de l’encens avant de se rendre sur le champ de bataille afin que cela leur porte chance.
À l’époque d’Edo (1603-1867), les femmes de la haute société et les courtisanes furent enfin autorisées à s’initier à cet art raffiné. C’est également à cette époque que différentes écoles de kodo furent créées, dirigées par des maîtres d’encens. Les plus célèbres étant celle de Shino-ryu (du nom de son fondateur, Maître Shino Soshin) et celle d’Oie-ryu (fondée par Maître Sanjonishi Sanetaka), qui existent encore. La voie de l’encens repose sur un enseignement oral transmis de maître à élève, il n’existe aucun écrit.
Ito Tesseki (actif entre 1890 et 1912), Plateau pour la cérémonie de l’encens (kodo) en forme de feuille de lotus,Japon, entre 1890 et 1912, bois de ronce de Keyaki, 78 x 44 cm, achat, 2020
À l’ère Meiji (1868-1912), le Japon s’ouvrant à l’Occident, la voie de l’encens perdit de son aura et les maîtres ne purent plus vivre de leur enseignement.
Dans les années 1960, les descendants des écoles Shino-ryu et Oie-ryu entreprirent de populariser le kodo. Ils s’appliquèrent à rédiger des manuels d’explications, proposèrent des cours à un public plus varié et participèrent à des ateliers organisés par les diverses boutiques d’encens qui s’ouvrirent à cette époque. Ces dernières inventèrent de nouvelles senteurs pour attirer un public plus large. Malgré tous ces efforts, le kodo a gardé son image élitiste et cette pratique est restée coûteuse du fait du prix élevé des bois odoriférants de très grande qualité utilisés lors des cérémonies ou des ateliers.
Cependant, depuis plusieurs années, le kodo profite des tendances « bien-être » et « anti-stress », car on attribue à l’encens diverses vertus, dont dix d’entre elles avaient été répertoriées dès le 15e siècle par un moine japonais. De nos jours, les adeptes recherchent dans cette pratique une évasion grâce aux efforts de concentration qu’elle demande, un moyen de se détendre physiquement et mentalement.