Elle se faisait appeler Madame Carven (1909-2015). Ce nom reste associé à une époque de joie et de création effervescente. Et à une très importante donation qu’elle réalisa avec son mari au profit du musée où volent dès lors quelques oiseaux de Chine.
Celle que l’on nommait, du fait de sa taille, « la plus petite d’entre les grands couturiers » était née Carmen de Tommaso en 1909. Elle se choisit un nom claquant comme une toile au vent, sans prénom, signe de sa modernité, à l’instar des études d’architecture qu’elle fit aux Beaux-Arts à Paris – les femmes y demeuraient rares – et de sa passion pour l’aviation. Elle obtint un brevet de pilote.
Elle ouvrit d’abord, pour produire une mode adaptée à son gabarit, sa première boutique en 1941. Elle employait alors un couturier juif, obligé, du fait de l’abolition du décret Crémieux, de fermer son affaire. Le 17 novembre 1943, prévenu de l’imminence d’une rafle par deux agents de police, il s’en ouvrit à Carven. Aussitôt elle décida de l’abriter dans son atelier et cacha femme et enfants chez sa mère. Ayant sauvé toute la famille elle fut reconnue « Juste parmi les Nations » en 2000.
Au lendemain de la guerre, en 1945, Mme Carven lança sa maison de haute-couture, signant l’image de la Parisienne des années d’après-guerre. Martine Carol ou Michèle Morgan adoptèrent ses robes à la ligne jeune et élégante, dont ses emblématiques rayures blanches et vertes accentuaient l’impeccable architecture. Elle défila régulièrement à l’étranger et habilla bientôt les hôtesses d’Air France.
Après le décès de son premier mari elle épousa un industriel, René Grog (1896-1981), avec lequel elle partageait la passion de l’art du 18e siècle. Dans leur appartement le mobilier français le plus somptueux côtoyait les « objets de la Chine » en des retrouvailles délicates : vases chinois faits pour l’exportation, meubles laqués et marquetés, magots et oiseaux de porcelaine chinois. Ils formaient une somptueuse volière désormais présentée sur le « palier aux oiseaux », dédiée à Mme Carven, au 3e étage du musée. Les meubles de la donation sont au cœur d’une remarquable donation au Louvre, autre récipiendaire de la générosité des Grog-Carven.
Enfin l’École du Louvre et les écoles de mode peuvent remettre une bourse Grog-Carven destinée chaque année à doter en alternance un jeune talent prometteur.
