La collection d’art du Tibet au musée Guimet est riche d’un remarquable ensemble de sculptures métalliques en cuivre, en laiton ou en bronze. Ces œuvres, généralement dorées et rehaussées d’incrustations de pierres semi-précieuses, conservent, ici et là, des traces plus ou moins importantes de polychromie, trait caractéristique de nombreuses images bouddhiques des régions himalayennes.
Dans l’art du bouddhisme tibétain, c’est en lignée ou famille que s’organisent la plupart des divinités. En tant qu’hypostases, elles émanent de l’un ou l’autre des cinq buddha transcendants (sanskrit pañchajina ; tibétain rgyal-ba rigs-lnga) qui siègent à un emplacement spécifique dans les sphères les plus élevées du panthéon :
- Akshobhya à l’Est, chef de file du vajrakula ou famille du Diamant
- Ratnasambhava au Sud, chef de file du ratnakula ou famille du Joyau
- Amitabha à l’Ouest, chef de file du padmakula ou famille du Lotus
- Amoghasiddhi au Nord, chef de file du karmakula ou famille de l’Action
- Vairochana au Centre, chef de file du tathagatakula ou famille de « l’Ainsi-venu », alias le Bouddha
C’est très certainement dans le vajrakula qu’il convient d’inscrire la dakini présentée ici.
Le vajrayana distingue plusieurs catégories de dakini ; ces déesses sont dotées des cinq perfections inhérentes à l’enseignement et à la pratique du bouddhisme : générosité, discipline, patience, diligence et concentration. En tant que parèdres ou compagnes mystiques des grands dieux du panthéon, elles sont souvent représentées en union intime (tibétain yab-yum, « père-mère ») avec eux, mais elles peuvent aussi faire l’objet de représentations indépendantes en tant que divinités d’élection à part entière. L’apparence générale des dakini est assez stéréotypée : en attitude de danse, jambe gauche fléchie, jambe droite repliée sous le corps, elles foulent au pied un être ou un cadavre incarnant les passions qu’elles ont pour rôle d’anéantir ou de sublimer. Le bras gauche ramené devant le torse, le bras droit levé, elles tiennent des attributs renvoyant à leur rôle ambivalent de destructrice et de salvatrice. Dans le cas de notre statuette, ce sont un couperet à lame courbe, dans la main droite, et une coupe crânienne, dans la main gauche : de tels attributs sont à interpréter comme les agents efficients de l’accès à l’Éveil.
Il faut sans doute reconnaître dans cette statuette une représentation de Vajravarahi (tibétain rDo-rje phag-mo), « la Laie adamantine », la dakini plus spécifiquement associée au dieu Chakrasamvara (tibétain ‘Khor-lo bDe-mchog), « Roue de la félicité suprême ». La tête d’une laie, qui d’ailleurs donne son nom à la déesse, a aujourd’hui disparu ; elle se positionnait à l’arrière, dans la chevelure, où elle était assujettie par un petit tenon.