De telles images ont pu être réalisées du vivant de leur modèle ou après son décès, dans tous les cas afin d’honorer le personnage représenté, mais aussi de bénéficier de sa protection spirituelle. C’est à cette catégorie qu’appartient ce portrait posthume du Vèmedalaï-lama, Ngawang Losang Gyatso (1617-1682).
Rare dans les collections d’art du Tibet conservées au musée Guimet par son matériau – de l’argile crue, laquée et en partie polychrome – la statuette dépeint le pontife sous un jour très officiel, assis sur un grand coussin, vêtu de l’ample et complexe costume d’apparat des religieux tibétains de haut rang, et portant la coiffe des pandits indiens, une sorte de bonnet pointu à oreillettes dont les longues extrémités retombent sur les épaules. Dans une posture de grande noblesse, le buste droit, la tête légèrement relevée, celui que l’historiographie désigne usuellement sous le nom de « Grand Cinquième » esquisse de la main droite le geste « qui dompte la terre », cependant que la main gauche, placée dans le giron, tient un manuscrit de format classique. Assujettie au niveau de l’abdomen par la ceinture sous laquelle elle se place, on note la présence de l’extrémité supérieure d’une dague rituelle (en tibétain : phur-bu), généralement associée aux religieux nyingmapa (les « Anciens »). Ce détail témoigne de l’intérêt porté par le Vèmedalaï-lama aux traditions de l’école nyingma, dont il fut proche sa vie durant, bien qu’appartenant lui-même à l’ordre des gelugpa (les « Vertueux »).
Ainsi qu’en témoigne l’inscription figurant à l’arrière du coussin, cette sculpture est un portrait de type mémoriel dont la réalisation a suivi de peu le décès caché du pontife, survenu au deuxième mois de 1682, et qui, pour des raisons politiques, fut tenu secret jusqu’en 1697.
L’œuvre fut offerte en décembre 1920 ou janvier 1921 par le XIIIèmedalaï-lama, Thubten Gyatso (1876-1933), à David Macdonald (1870 ou 1873-1962), agent commercial de la couronne britannique à Yatung et Gyantse entre 1909 et 1924. Elle a ensuite appartenu à diverses collections privées françaises avant d’entrer au musée Guimet en 2024 en tant que témoin historique et esthétique majeur de l’art du Tibet dans les collections nationales françaises.