Le raja Raj Singh de Chamba et sa rani dans les jardins de Rajnagar

Dans les jardins Moghols

On aime et on s’émerveille dans les jardins d’Asie, on y joue de la musique ou on y compose des poèmes, on s’y laisse surprendre ou perdre, on s’y enivre parfois pour quitter un temps les perceptions ordinaires et les jeux du pouvoir, pour enfin trouver une inspiration nouvelle.

Quelles que soient leurs caractéristiques, les fleurs, tout comme les plantes et les arbres y sont partout investis d’allusions poétiques ou symboliques qui sont mises en évidence et se répondent de saison en saison.

S’il dépend avant tout des sols, des climats et des savoir-faire horticoles, le répertoire végétal des jardins d’Asie répond à des choix matériels, culturels et symboliques précis.

Le raja Raj Singh de Chamba et sa rani dans les jardins de Rajnagar

© RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Thierry Ollivier

Le raja Raj Singh de Chamba et sa rani dans les jardins de Rajnagar

Dans le jardin moghol (Inde)

La conception du jardin moghol, d’Agra à Lahore, ordonne l’espace de façon géométrique évoquant sur Terre la perfection du Paradis. Carrée ou rectangulaire, sa structure enclose est subdivisée en quatre parcelles régulières délimitées par quatre canaux évoquant les quatre fleuves du Paradis. Avec rigueur et raffinement, pavillons, terrasses, passerelles et parterres scandent cet espace architecturé, traversé par des circulations d’eaux vives.

Étude de fleur

© RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Thierry Ollivier

Étude de fleur

À l’organisation spatiale métaphorique évoquant le Jardin de Paradis répond la nature même de la végétation qui y croît. Au Cachemire, les empereurs moghols se délectaient sans fin du spectacle enchanteur d’une nature régénérée et d’une végétation toujours renaissante. « Où que l’œil se pose, ce n’est que verdure et eau courante. La rose rouge, la violette et le narcisse y poussent d’eux-mêmes ; dans les champs sont toutes sortes de fleurs et d’herbes au parfum suave… », notait l’empereur Jahangir dans ses Mémoires.

En 1620, alors qu’il séjournait dans la vallée du Cachemire, l’empereur chargea l’un des grands peintres de l’atelier impérial, Ustad Mansur, de représenter ces floraisons merveilleuses dont il souhaitait immortaliser la beauté et conserver le souvenir. Le grand maître moghol exécuta plus d’une centaine d’études florales – dont il ne subsiste plus aujourd’hui que trois ou quatre précieux témoignages. Mais dans le sillage de Mansur, d’autres peintres moghols s’attachèrent à la représentation minutieuse de fleurs d’essences diverses en s’inspirant parfois des herbiers de l’Occident lointain.

Ralnil écoutant de la musique

Photo (C) RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Thierry Ollivier

Les fleurs

Les fleurs mogholes leur emprunteront presque invariablement leur précision, le soin porté aux détails botaniques et jusqu’à la présence de papillons. Hybrides et composites par nature, les fleurs mogholes – qui s’épanouissent en bouquets luxuriants et réguliers dans les marges et les bordures des miniatures, le marbre des palais et des mausolées impériaux tels le Taj Mahal, le jade ou le cristal des objets précieux, la joaillerie, mais également sur le champ des tapis, des panneaux de tente et à la surface des étoffes – furent parfois chantées en vers admiratifs par les poètes de cour, ainsi le poète Abu Talib Kalim, qui composa à leur gloire ces vers élogieux :

 « Ils ont serti le marbre de fleurs de pierre
Qui par la couleur sinon par le parfum l’emportent sur les fleurs véritables. »

Panneau de tente qanât à décor de feuilles de pavot

Panneau de tente qanât à décor de feuilles de pavot

Photo (C) MNAAG, Paris, Dist. RMN-Grand Palais / image musée Guimet

Le langage des fleurs

Prisée en Inde moghole, la poésie mystique et amoureuse d’expression persane accorde une place éminente à la symbolique florale. La polysémie que recèle chaque essence du jardin se prête aux interprétations multiples d’un langage où se mêlent émotions et sentiments, couleurs, formes et parfums.

La roseraie (« gulistan ») est par exemple le séjour des amis de Dieu, l’âme éveillée, le cœur ou le visage de la bien-aimée. L’éclat de la tulipe rouge dit tout à la fois la brulure de l’amour, l’éclat de la beauté ou le sang des martyrs.

L’éclosion de la rose comme celle des iris, du jasmin et des jacinthes suscite une délectation que l’art des senteurs tente de capturer. Appuyé par l’art des jardins, l’art des parfums et ses traités mettent au point onguents et encens capables de stimuler la séduction, la conversation ou la négociation. Ils témoignent ainsi de la valeur accordée à l’odorat dans les échanges intimes et sociaux.

Manteau matelassé

© RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Jean-Gilles Berizzi

Manteau matelassé

La fascination suscitée par la beauté du jardin, par la poésie de son vocabulaire floral et par les invitations sensuelles qu’il éveille se sont déployés en Inde sur la garde-robe de la noblesse dès le 16e siècle. Superposant tuniques, manteaux, larges ceintures et châles, hommes, femmes et enfants se sont enveloppés de jardins de coton ou de soie et de fils d’or aux végétaux stylisés.

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