Les peintres moghols – dont beaucoup étaient de confession hindoue comme le révèlent leurs noms – ont fréquemment représenté les ascètes et les renonçants de l’Inde, avec une prédilection particulière pour les Kanphatayogin – les « yogin aux oreilles fendues ».
Adeptes de Gorakhnath, vénéré comme une incarnation du dieu Shiva, les Kanphatayogin se reconnaissent notamment aux larges anneaux de corne ou de métal fixés dans le cartilage ou le lobe distendu de leurs oreilles, ainsi qu’aux amulettes faites de corne qu’ils portent en sautoir autour du cou.
Portrait d’un ascète (Kanphatayogin), Inde, école moghole, vers 1600-1610, dessin à l’encre et rehauts d’or sur papier, 24,7 X 16,5 cm (page) ; 15,2 X 7,8 cm (dessin), achat, 2019. MA 13002
Dans ce petit dessin d’une grande délicatesse, un ascète à demi-nu, à l’exception d’une mince étoffe ceignant ses reins, porte des deux mains son bol à aumônes, d’une taille imposante ; une gourde de pèlerin est suspendue à son bras gauche, ainsi qu’un yogapatta – lanière de contention permettant de maintenir les jambes dans une position propice aux longues séances de méditation. Les larges anneaux fixés dans le lobe de ses oreilles le désignent comme un Kanphatayogin. Devant lui se tient son jeune disciple, chargé d’un bol à aumônes, d’un sac et d’un éventail, et un chien errant chemine à ses côtés. D’une fluidité toute calligraphique, ce saisissant portrait, où se distinguent quelques repentirs, a été laissé à l’état d’ébauche.
Seul le visage du yogin itinérant a véritablement retenu l’attention du peintre, qui a su en traduire l’intense expressivité et saisir, avec une étonnante acuité graphique autant que psychologique, l’expression d’absente intériorité de l’ascète absorbé en lui-même ; on notera également le soin particulier porté au rendu des vertèbres cervicales et de la pomme d’Adam. Le corps de l’homme, les détails vestimentaires et les éléments accessoire, et jusqu’aux personnages secondaires – le jeune disciple et le chien – ne sont ici que sommairement esquissés.