L’aspect étrange et fantastique de cette divinité résulte tout autant de la multiplication des bras que de celle des têtes. La déesse possédait à l’origine six bras : deux dans l’attitude de la prière, les mains jointes à hauteur de poitrine, deux le long du corps, deux, enfin, relevés symétriquement de part et d’autre des épaules.

Divinité féminine bouddhique, Cambodge, provenance exacte inconnue, style d’Angkor Vat, trois premiers quarts du 12e siècle, grès ; H. 62 cm L. 20 cm P. 13 cm, envoi Étienne Aymonier, 1882–1883, MG 14908

Au-dessus de la tête principale se trouvent deux registres superposés de six et cinq têtes respectivement. Ces têtes supplémentaires forment une sorte de coiffe étagée, proche en volume des tiares orfévrées que portent certaines images féminines en bas-relief au 12e siècle et au début du 13e siècle. Une petite représentation du jina Amitabha, dont il ne subsiste plus que la trace, prenait place entre les deux registres de têtes secondaires, dans l’axe du visage. Ce dernier détail invite à reconnaître hypothétiquement dans cette image, aussi curieuse que rare, un aspect complexe de la déesse Prajnaparamita (« Perfection de Sagesse »), personnification d’un texte important du bouddhisme du grand véhicule (mahayana), le Prajnaparamitasutra, mais aussi mère de tous les bouddhas dans cette forme évoluée du bouddhisme.

Le visage souriant aux traits désincarnés, le modelé un peu sec ainsi que les proportions géométriques et la raideur de la posture sont spécifiques des images de culte du style d’Angkor Vat dans les trois premiers quarts du 12e siècle. Le costume au plissé régulier et fin, de même que la ceinture nouée à l’avant et ornée de deux rangées d’ovales, sont également caractéristiques de ce style.