Cette peinture de Bishan Singh représente un atelier de tissage des châles du Cachemire. Le mot « châle », orthographié jusqu’en 1830-1840 « schall », dérive du persan shal et désigne une sorte de tissu en laine.
Les châles (kani) sont tissés avec le sous-poil (pashmina) de la « chèvre du Tibet » vivant sur les pentes montagneuses de l’Himalaya. Le poil récolté était nettoyé par les femmes, puis sélectionné en fonction de sa qualité et envoyé chez le teinturier. Avant d’être confiés aux tisserands, elles doublaient les fils pour leur donner une légère torsion. Les hommes tissaient ensuite le châle sur un métier horizontal.
Plusieurs personnes concouraient à sa réalisation. Au dessinateur (naqqash) qui composait le modèle, succédait celui (tarahgourou) qui élaborait le dessin de bas en haut, annonçait les couleurs et les dictait au « maître du modèle » (talimgourou). Celui-ci retranscrivait le modèle au tisseur en utilisant un vocabulaire très précis. Ainsi, le tisseur avait une transcription (talim) pour tisser. Plusieurs tisserands, toujours des hommes, travaillaient ensemble pour réaliser les motifs formés par des trames. De très nombreux petits fuseaux, sorte de bobines, sur lesquels étaient enroulée la laine (espolins), un pour chaque couleur, permettaient de former un motif complexe.
Atelier de tisserands de châles, signé Bishan Singh, daté 1874. Cachemire, Inde du Nord, Penjab, Amritsar, gouache sur papier, 35,5 x 48,2 cm, achat, 2015, MA 12702
Si les châles du début de la période moghole se caractérisent par le réalisme de leurs motifs floraux, on constate, à partir du 18e siècle, l’apparition progressive d’une forme ovoïde, appelée boteh, composée de fleurs qui semblent émerger d’une sorte de vase. Ce motif d’influence persane va se styliser encore plus radicalement dans les années suivantes, pour s’allonger et devenir quasiment abstrait sous le règne de Gulâb Singh (1820- 1856), râja de la cour de Lahore. Les couleurs sont de plus en plus chatoyantes et le traitement du décor jouit d’une liberté sans précédent, entraînant une véritable explosion créative, comme en témoigne le châle proposé à des marchands, figuré dans la partie droite de la peinture.