Pas de plafond de verre au-dessus du musée Guimet dans les années 1930. Asie terre de conquêtes ? Ce musée a permis à plusieurs femmes de donner toute la mesure de leur brio ; Jeannine Auboyer, première femme à diriger un musée en France, y fit fort jeune ses armes.

Le musée Guimet, depuis peu dans le giron des musées nationaux et dédié aux arts de l’Asie, Jeannine Auboyer (1912-1990) y était presque née ; elle y apporta son concours dès ses 19 ans. Elle suit à la Grande chaumière l’enseignement de Bourdelle, découvre avec lui les collections du musée de sculptures comparée du Trocadéro (ancêtre de la Cité de l’architecture et du Patrimoine). Elle est aussi élève de l’académie Julian où les jeunes femmes sont admises à copier les nus masculins. Le milieu y est mixte et cosmopolite ; elle se forme ainsi au dessin qui sera un de ses outils de mémorisation et d’analyse des œuvres.

À cela s’ajoute une très solide formation scientifique : Cours d’histoire de l’art à l’École du Louvre (1929-1934) dédiés à l’Asie où elle apprend au contact des plus grands du milieu orientaliste : René Grousset, Philippe Stern et Joseph Hackin – auprès duquel elle travaille dès 1936 –  qui tous seront ses prédécesseurs à la tête du musée, mais aussi Georges Salles – conservateur des collections asiatiques du Louvre et bientôt son directeur –, ou enfin l’éminent Gaston Wiet, grand arabisant et directeur du musée d’art islamique du Caire. Elle suit également les cours de l’École Pratique des Hautes Études sous la prestigieuse houlette de Paul Pelliot, et de Serge Éliseeff ; s’initie à l’anthropologie avec Paul Mauss et Paul Rivet, se forme à l’archéologie à l’Institut d’art auprès d’Alfred Foucher, spécialiste des arts « gréco-bouddhiques » du Gandhara, et enfin à l’institut de civilisation indienne. Son insatiable curiosité intellectuelle nourrit sa vision large des phénomènes artistiques en Asie. Elle soutient un mémoire de recherche à l’École du Louvre, dans les années sombres de la guerre, puis en 1946 une thèse qui lui vaut le prix Paul Pelliot en 1950. Sa formation au dessin l’amène à combler le manque de données archéologiques sur l’Inde par une étude attentive des reliefs sculptés riche d’enseignements sur les objets et les rituels.

À partir de 1950 elle peut enfin se rendre en Asie à maintes reprises, se déplaçant souvent seule au volant de sa voiture jusque dans la périlleuse passe de Khyber, située à la frontière pakistano-afghane. Arrivée à la tête du musée en 1965 elle lance sa rénovation deux ans plus tard ; elle est faite Officier de la Légion d’honneur et Commandeur des Arts et Lettres.

Personnage d’une ampleur exceptionnelle trop oublié, insatiable travailleuse, elle laisse derrière elle de nombreuses publications, plus de vingt expositions et a formé de très nombreux élèves. En 1980 elle ferma définitivement la porte de son bureau dans un musée qui l’avait hanté tout sa vie et n’y revint jamais.