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Clémence d’Ennery (1823-1898) est un personnage mystérieux. Femme libre, amie des frères Goncourt et de Clemenceau, elle fut longtemps dissimulée derrière la silhouette d’Adolphe d’Ennery qu’elle finit par épouser. Actrice fameuse en son temps, réputée pour sa beauté, de celle que l’on nommait Gisette, on ne conserve pourtant aucun portrait.
Introduite de longue date dans un milieu artiste et intellectuel, Clémence d’Ennery, née Desgranges, côtoie, au côté d’Adolphe d’Ennery, les Goncourt, Flaubert et réunit à sa table une « société étrange » aux propos sans censure. Sa beauté et son esprit fascinent les Goncourt par « la répartie soudaine et le génie du mot » où ils voient le reflet de Beaumarchais ! Elle est, écrivent-ils, « indéchiffrable … Son âme son humeur, le battement de son cœur semble être quelque chose d’ailé et de volage comme le pouls de la folie ». Voilà qui nous fait regretter l’absence de portrait !
Dans la suite d’une tradition familiale, Clémence d’Ennery collectionne des pièces japonaises bien avant la vogue du Japonisme. Dans les années 1890, et dans l’intention d’en faire don à l’État, elle intensifie les achats pour former sa collection chez les plus grands marchands établis à Paris : Tadamasa Hayashi, Siegfried Bing, Alexandre Sichel, etc. Elle se lie à Clemenceau qui sera son exécuteur testamentaire.
Elle est installée dès 1875 dans l’hôtel particulier que fait construire sur l’avenue du Bois (l’actuelle avenue Foch) Adolphe, dramaturge à succès et son amant puis son mari. En 1890, la collection comprend 3 000 pièces, elle a plus que doublé à sa disparition en 1898.
Clémence d’Ennery collectionne essentiellement des pièces chinoises et japonaises de petites ou moyennes dimensions. Sa collection est un fabuleux rassemblement d’animaux fantastiques constituant un étonnant jardin zoologique fait de porcelaines, de figurines, de statuettes et de 2500 netsuke, ces petits contrepoids maintenant à la ceinture du kimono les inro ou boîtes à compartiments aux usages les plus variés et indispensables pour un vêtement dépourvu de poche, dans un pays où l’on n’use pas de sacs ou réticules.
Elle invente, avenue du Bois, une assemblée de chimères et de monstres, au gré de ses moyens et de ses goûts. Clémence d’Ennery ne visita jamais l’Asie. Pour mettre l’ensemble en valeur, elle imagine une mise en scène à l’étage noble de son hôtel particulier, dédié tout entier à la collection. Elle passe commande de meubles précieux à Viardot qui réutilise des panneaux vietnamiens incrustés de nacre, créant un somptueux mobilier. Ses précieux et fragiles objets y sont organisés en de précises compositions toujours préservées aujourd’hui, suivant les obligations du legs.
La collection de Clémence d’Ennery et son musée sont donc une bulle de temps enfermée dans l’atmosphère proustienne du Paris fin de siècle sur la belle avenue qui voyait chaque jour passer les voitures à chevaux et les cavaliers et cavalières se rendant au bois.
Pour en savoir plus sur le musée d’Ennery
Clémence d’Ennery (1823-1898) is a mysterious character. A free woman, a friend of the Goncourt brothers and of Clemenceau, she was for a long time hidden behind the silhouette of Adolphe d’Ennery, whom she ended up marrying. Famous actress in her time, renowned for her beauty, no portrait has survived of the one whom her friends called Gisette.
Clémence d’Ennery, born Desgranges, who had long been introduced to an artistic and intellectual milieu, rubbed shoulders with Adolphe d’Ennery, the Goncourts and Flaubert, and brought a « queer sociability » with uncensored statements to her table. His beauty fascinates the Goncourt brothers with her « sudden repartee and the genius of the word » where they see the reflection of Beaumarchais! She is, they write, « indecipherable … Her soul, her mood, the beat of her heart seem to be something winged and fickle like the pulse of madness ». This is what makes us regret the absence of a portrait!
In the continuation of a family tradition, Clémence d’Ennery collects Japanese pieces long before the vogue of Japonisme. In the 1890s, and with the intention of donating them to the State, she intensified her purchases to form her collection from the greatest merchants established in Paris: Tadamasa Hayashi, Siegfried Bing, Alexandre Sichel, etc. She becomes friends with Clemenceau, who will be her executor.
In 1875, she moved into the private mansion that Adolphe, a successful playwright and her lover and later her husband, had built on the Avenue du Bois (now the Avenue Foch). In 1890, the collection consisted of 3,000 pieces and more than doubled when she died in 1898.
Clémence d’Ennery mainly collected small and medium-sized Chinese and Japanese pieces. Her collection is a fabulous collection of fantastic animals, constituting an astonishing zoological garden made of porcelains, figurines, statuettes and 2500 netsuke, these small counterweights holding the inro or compartmentalized boxes at the belt of the kimono. They have a wide variety of uses and are indispensable for a garment without pockets, in a country where bags or reticles are not used.
She invents, on the Avenue du Bois, an assembly of chimeras and monsters, according to her means and her tastes. Clémence d’Ennery never visited Asia. In order to highlight the whole, she imagined a setting on the noble floor of her private mansion, entirely dedicated to the collection. She placed an order for precious furniture with Viardot, who reused Vietnamese panels inlaid with mother-of-pearl, creating a sumptuous pieces of furniture. Her precious and fragile objects are organized in precise compositions that are still preserved today, according to the obligations of the legacy.
Clemence d’Ennery’s collection and her museum are thus a bubble of time locked up in the Proustian atmosphere of fin-de-siècle Paris on the beautiful avenue that saw horse-drawn carriages and horsemen and women riding to the woods every day.